1996

Brouckerque

 

Brouckerque: Gazoduc des Hauts de France

N° du site : 59 110 002 AH

Le chantier de fouilles de Brouckerque fut occasionné par l'installation de deux plates-formes de forage pour le franchissement du gazoduc Loon-Plage- Cuvilly à hauteur du canal de la Haute-Colme entre les communes de Brouckerque et Pitgam. Le site se place à une altitude de 3m en bordure de la Colme, ancien bras du delta de l'Aa séparant la plaine basse maritime du versant argileux de la Flandre intérieure. Sa présence est donc indissociable de l'évolution de la plaine et sa reconquête par l'homme à partir de l'époque carolingienne. L'établissement occupe en effet une place privilégiée sur les premiers reliefs à l'abri des eaux et non loin du rivage de la dernière transgression dunkerquienne III aux Xème- XI ème siècle.
Les vestiges consistent en plusieurs réseaux complexes de fossés, fosses, palissades englobant un habitat partiellement repéré, étalé entre le Xème et le XIIIème siècle et sans doute davantage placé près de la rivière canalisée. Les structures sont directement creusées, sous l'humus limoneux de surface, dans les dépôts sableux laissés par la transgression marine dunkerquienne II entre la IVème et le VIème siècle. Ces dépôts peuvent atteindre 1,50m à 2m d'épaisseur et scellent des horizons para-tourbeux issus d'une tourbe résiduelle arrachée plus profondément et balayée par la mer. Cette tourbe a été constatée vers 7m de profondeur au contact de l'argile bleue d'assise yprésienne dans le puit de forrage du futur gazoduc souterrain. C'est grâce à ces éléments de stratigraphie que l'on peut approcher la plaine maritime au point de vue paléographoque.
Avec la fin de la transgression dunkerquienne II débute une phase de régression des eaux qui devient général au VIIIème siècle et s'accompagne d'une patiente reconquête des terres par l'homme pendant le haut Moyen-Age. Mais les plus anciens points d'ancrage sont rares et occupent souvent une position de hauteur, par exemple sur d'anciens cordons littoraux (Loon, Synthe au VIIème siècle). Le colmatage de la plaine ne s'effectue qu'avec lenteur et les terres asséchées n'eurent pas grande extensions avant le Xème siècle. Les noms de lieux pour le IXème siècle ne concernent pour la plus part que des points restés de tout temps émergés à la surface de la plaine ou sur sa bordure comme le site de Brouckerque en zone limitrophe et établi suffisamment loin du littoral tout en en tirant profit à partir du Xème siècle. Même s'il atteste une mainmise assurée sur le sol à cette époque, l'établissement reflète, par son système d'écoulement dense, un soucis constant de lutte contre l'élément ambiant qu'est la remonté marine. Cette crainte a pu justifier un relévement de l'habitat sur plate-forme, nivelé depuis mais dont on retrouve trace sous forme lacunaire, à l'inverse du mobilier d'occupation recueilli lui dans les structures profondes à savoir les comblements de fossés parvenus jusqu'à nous.
Le site a révélé un ensemble inextricable de structures dont se dégagent trois phases d'occupation datées respectivement en chronologie relative des Xème-XIème siècle, XIème-XIIème siècle, XIIème-XIIIème siècle, grâce au recoupement des vestiges au sol et au mobilier céramique surtout.
La première phase présente un système de fossés à une ou deux extrémités arrondies ouvrant sur des "enclos" ou espace quadrangulaires assez restreints et irréguliers. L'un de ces enclos, plus géométrique, dessine un périmètre rectangulaire incomplet, large d'au moins 20m avec entrée médiane de 2 à 3m de largeur; il recoupe un premier dispositif de fossés accompagné de plusieurs fosses et trous de poteaux. Notons quelques réelles marques d'installation à dominante charbonneuse avec torchis: le plan d'une haie semi-circulaire d'environ 8m d'envergure ainsi que la saignée d'une palissade de taille similaire. Aucune preuve d'habitat véritable n'a cependant été découverte à l'intérieur de ce compartimentage.
La céramique recueillie est abondante et illustrée surtout par une grosse poterie domestique post-carolingienne datée de la seconde moitié à la fin du Xème siècle par rapport aux lots bien connus de Saint-Omer (quai des Salines, casernes Albert et Foch). La forme de récipient prépondérant en est le gros pot à cuire, type marmite ou chaudron fabriqué localement, modelé ou fini au tour lent et réalisé dans une pâte brune homogène ou à gros dégraissant coquillier. La vaisselle de table fine quoique minime n'est cependant pas absente et correspond à des céramiques importées déjà à l'époque carolingienne: productions à pâte brune ou rouge à couverte mate grise ou noire lissée, avec parfois de bande verticales ou croisées. La quasi non représentation de la poterie peinte (deux tessons) est étonnante dans ce contexte.
La deuxième phase du site s'applique à un ensemble de fossés sinueux de taille moyenne en totale discordance avec le groupe précédent. L'élément majeur semble être un long fossé courbe, d'environ 40m coupant d'est en ouest le chantier et limitant au nord l'étendue de ce second ensemble; à l'ouest, sa terminaison voisine avec quelques traces ténues d'habitat tandis qu'à l'est, le fossé paraît s'évaser vers le canal actuel. Dans le mobilier céramique, la poterie domestique grossière demeure majoritaire et le registre carolingien s'amenuise pour devenir résiduel; l'apparition de vases globulaires ou pots à provisions en pâte grise ou noire bien tournée avec surtout bord en bandeau à décors d'impressions digitées nous place ici dans le XIème siècle. Par ailleurs, la présence de marmites à col subvertical et lèvre en "tête de clou" permet d'avancer le XIIème siècle pour le fossé de ceinture.
La troisième phase suit de peu la seconde et voit l'espace se réorganiser de façon plus tranchée. Un réseau de fossés, coudés et emboîtés est creusé ou recreusé partiellement dans le canevas précédent; l'aménagement le plus récent consiste en deux grands fossés de drainage plus ou moins perpendiculaires et de taille conséquente (3 à 4 mètres de largeur sur 1,50 mètre de profondeur); on pourrait avoir ici les fossés d'enclos d'une installation (ferme médiévale?) tournée vers la Colme et à laquelle se rattachent deux autres fossés orthogonaux, semblables d'aspect et avec mobilier céramique identique, observés dans la première plate-forme du chantier GRF. La typologie de formes d'une dizaine de poteries (marmites, pots à provisions) permet de dater cette troisième phase de la fin du XIIème siècle au premier tiers du XIIIème siècle. A cette époque, la plaine maritime appartient tout entière à l'homme, de nombreux villages existent déjà et l'expansion économique et rurale générale s'accomplit dans cette région à partir des deux pôles religieux et fonciers que sont les abbayes de Bourbourg et Bergues. C'est dans ce cadre qu'il convient de replacer la site de Brouckerque.

Jean Claude Routier.AFAN