Brouckerque: Gazoduc des Hauts de France
N° du site : 59 110 002 AH
Le chantier de fouilles de Brouckerque fut occasionné
par l'installation de deux plates-formes de forage pour le franchissement
du gazoduc Loon-Plage- Cuvilly à hauteur du canal de la
Haute-Colme entre les communes de Brouckerque et Pitgam. Le site
se place à une altitude de 3m en bordure de la Colme,
ancien bras du delta de l'Aa séparant la plaine basse
maritime du versant argileux de la Flandre intérieure.
Sa présence est donc indissociable de l'évolution
de la plaine et sa reconquête par l'homme à partir
de l'époque carolingienne. L'établissement occupe
en effet une place privilégiée sur les premiers
reliefs à l'abri des eaux et non loin du rivage de la
dernière transgression dunkerquienne III aux Xème-
XI ème siècle.
Les vestiges consistent en plusieurs réseaux complexes
de fossés, fosses, palissades englobant un habitat partiellement
repéré, étalé entre le Xème
et le XIIIème siècle et sans doute davantage placé
près de la rivière canalisée. Les structures
sont directement creusées, sous l'humus limoneux de surface,
dans les dépôts sableux laissés par la transgression
marine dunkerquienne II entre la IVème et le VIème
siècle. Ces dépôts peuvent atteindre 1,50m
à 2m d'épaisseur et scellent des horizons para-tourbeux
issus d'une tourbe résiduelle arrachée plus profondément
et balayée par la mer. Cette tourbe a été
constatée vers 7m de profondeur au contact de l'argile
bleue d'assise yprésienne dans le puit de forrage du futur
gazoduc souterrain. C'est grâce à ces éléments
de stratigraphie que l'on peut approcher la plaine maritime au
point de vue paléographoque.
Avec la fin de la transgression dunkerquienne II débute
une phase de régression des eaux qui devient général
au VIIIème siècle et s'accompagne d'une patiente
reconquête des terres par l'homme pendant le haut Moyen-Age.
Mais les plus anciens points d'ancrage sont rares et occupent
souvent une position de hauteur, par exemple sur d'anciens cordons
littoraux (Loon, Synthe au VIIème siècle). Le colmatage
de la plaine ne s'effectue qu'avec lenteur et les terres asséchées
n'eurent pas grande extensions avant le Xème siècle.
Les noms de lieux pour le IXème siècle ne concernent
pour la plus part que des points restés de tout temps
émergés à la surface de la plaine ou sur
sa bordure comme le site de Brouckerque en zone limitrophe et
établi suffisamment loin du littoral tout en en tirant
profit à partir du Xème siècle. Même
s'il atteste une mainmise assurée sur le sol à
cette époque, l'établissement reflète, par
son système d'écoulement dense, un soucis constant
de lutte contre l'élément ambiant qu'est la remonté
marine. Cette crainte a pu justifier un relévement de
l'habitat sur plate-forme, nivelé depuis mais dont on
retrouve trace sous forme lacunaire, à l'inverse du mobilier
d'occupation recueilli lui dans les structures profondes à
savoir les comblements de fossés parvenus jusqu'à
nous.
Le site a révélé un ensemble inextricable
de structures dont se dégagent trois phases d'occupation
datées respectivement en chronologie relative des Xème-XIème
siècle, XIème-XIIème siècle, XIIème-XIIIème
siècle, grâce au recoupement des vestiges au sol
et au mobilier céramique surtout.
La première phase présente un système de
fossés à une ou deux extrémités arrondies
ouvrant sur des "enclos" ou espace quadrangulaires
assez restreints et irréguliers. L'un de ces enclos, plus
géométrique, dessine un périmètre
rectangulaire incomplet, large d'au moins 20m avec entrée
médiane de 2 à 3m de largeur; il recoupe un premier
dispositif de fossés accompagné de plusieurs fosses
et trous de poteaux. Notons quelques réelles marques d'installation
à dominante charbonneuse avec torchis: le plan d'une haie
semi-circulaire d'environ 8m d'envergure ainsi que la saignée
d'une palissade de taille similaire. Aucune preuve d'habitat
véritable n'a cependant été découverte
à l'intérieur de ce compartimentage.
La céramique recueillie est abondante et illustrée
surtout par une grosse poterie domestique post-carolingienne
datée de la seconde moitié à la fin du Xème
siècle par rapport aux lots bien connus de Saint-Omer
(quai des Salines, casernes Albert et Foch). La forme de récipient
prépondérant en est le gros pot à cuire,
type marmite ou chaudron fabriqué localement, modelé
ou fini au tour lent et réalisé dans une pâte
brune homogène ou à gros dégraissant coquillier.
La vaisselle de table fine quoique minime n'est cependant pas
absente et correspond à des céramiques importées
déjà à l'époque carolingienne: productions
à pâte brune ou rouge à couverte mate grise
ou noire lissée, avec parfois de bande verticales ou croisées.
La quasi non représentation de la poterie peinte (deux
tessons) est étonnante dans ce contexte.
La deuxième phase du site s'applique à un ensemble
de fossés sinueux de taille moyenne en totale discordance
avec le groupe précédent. L'élément
majeur semble être un long fossé courbe, d'environ
40m coupant d'est en ouest le chantier et limitant au nord l'étendue
de ce second ensemble; à l'ouest, sa terminaison voisine
avec quelques traces ténues d'habitat tandis qu'à
l'est, le fossé paraît s'évaser vers le canal
actuel. Dans le mobilier céramique, la poterie domestique
grossière demeure majoritaire et le registre carolingien
s'amenuise pour devenir résiduel; l'apparition de vases
globulaires ou pots à provisions en pâte grise ou
noire bien tournée avec surtout bord en bandeau à
décors d'impressions digitées nous place ici dans
le XIème siècle. Par ailleurs, la présence
de marmites à col subvertical et lèvre en "tête
de clou" permet d'avancer le XIIème siècle
pour le fossé de ceinture.
La troisième phase suit de peu la seconde et voit l'espace
se réorganiser de façon plus tranchée. Un
réseau de fossés, coudés et emboîtés
est creusé ou recreusé partiellement dans le canevas
précédent; l'aménagement le plus récent
consiste en deux grands fossés de drainage plus ou moins
perpendiculaires et de taille conséquente (3 à
4 mètres de largeur sur 1,50 mètre de profondeur);
on pourrait avoir ici les fossés d'enclos d'une installation
(ferme médiévale?) tournée vers la Colme
et à laquelle se rattachent deux autres fossés
orthogonaux, semblables d'aspect et avec mobilier céramique
identique, observés dans la première plate-forme
du chantier GRF. La typologie de formes d'une dizaine de poteries
(marmites, pots à provisions) permet de dater cette troisième
phase de la fin du XIIème siècle au premier tiers
du XIIIème siècle. A cette époque, la plaine
maritime appartient tout entière à l'homme, de
nombreux villages existent déjà et l'expansion
économique et rurale générale s'accomplit
dans cette région à partir des deux pôles
religieux et fonciers que sont les abbayes de Bourbourg et Bergues.
C'est dans ce cadre qu'il convient de replacer la site de Brouckerque.
Jean Claude Routier.AFAN
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